Episode 3 – L’étoile de la mort

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erlin. Capitale de l’empire intergermanique.
Sur l’île de la Spree se dresse le Berliner Stadtschloss, le palais impérial du Kaiser Guillaume II.
Fidèle à lui-même, l’empereur avait revêtu l’un de ses uniformes militaires. Il revêtit en plus un grand manteau qui le recouvrait des épaules jusqu’aux pieds. Une large capuche couvrait sa tête mais son visage était parfaitement visible. Les pointes de sa moustache, traitée à la pommade à moustache, se dressait en l’air, orgueilleuses et agressives et ses yeux d’un blanc laiteux et sans iris, avaient en leur centre une petite pupille noire et cruelle, pleine de vice et de méchanceté gratuite.
L’empereur fit son entrée dans une vaste salle surchargée de lustres de cristal. Un officier d’état-major l’attendait.

– Bonjour votre majesté ! Dit-il.
– Où en est notre offensive contre les Franzosen à Verdun ?
– Les troupes impériales de sa majesté ont seulement pus grignoter suffisamment de terrain pour obliger les Français à maintenir sur ce secteur plusieurs divisions mais avec le temps les Français s’épuiseront et leur moral ira en déclinant…

L’empereur se campa devant une grande baie vitrée donnant sur la Spree et sur les jardins où flânaient les Berlinois de l’autre côté du fleuve.

– J’ai toute confiance en nos soldats mais ce n’est pas suffisant. Coupa l’empereur. Il y a plusieurs mois de cela, j’ai ordonné la construction d’une puissante arme dont la vue seule, fera capituler l’ennemi mais dont les capacités de destruction sont immenses.
– Une arme secrète, votre majesté ?
– Ja ! Aujourd’hui, elle est enfin opérationnelle et elle devrait bientôt survoler le palais.

L’officier s’approcha de la baie vitrée et regarda vers le ciel chargé de lourds nuages. C’est alors qu’il le vit. Imposant, immense et terrifiant.
Des quatre coins de la ville, les Berlinois effrayés pouvaient voir l’effroyable arme du Kaiser Guillaume survoler le palais impérial.
Un gigantesque zeppelin, trois à quatre fois plus grand que tous les autres venait de s’amarrer. Son nom : « Stern des Todes ». L’Etoile de la mort.

– Ach ! Votre majesté, ce zeppelin est kolossal !
– C’est ainsi que je l’ai voulu. Répondit l’empereur. Ses nacelles sont équipées de plusieurs pièces d’artillerie pointées vers le sol. Au-dessus, plusieurs dizaines de mitrailleuses lourdes ont étés installées pour parer aux attaques aériennes. La coque rigide étant plus vaste et plus solide que celle des autres zeppelins, quatre avions de chasse ont étés embarqués sur le dessus et peuvent décoller à la moindre alerte. Il s’agit du tout nouveau modèle de triplan Fokker Dr. I et équipé de mitrailleuses Mauser, ces redoutables aéroplanes ont étés baptisés : Mauser Fokker.
– Votre majesté, cet aérostat est incroyable ! Son capitaine doit être d’une trempe exceptionnelle.
– Tout juste ! Il s’agit de mon élève, le comte Cornélius von Pataten.
– Was ? Celui que tout le monde surnomme : Schwarz Patate ?
– Ja ! Et il est déjà ici… je sens sa présence.

Soudain les doubles portes de la grande salle s’ouvrirent et laissèrent entrer tout un orchestre qui jouait « la marche impériale ».
Les musiciens, tout en continuant à jouer, se placèrent sur les côtés de sorte à laisser un large passage face à l’empereur.
Puis il fit enfin son entrée. Un soldat tout de noir vêtu, portant un long manteau de cuir noir au col relevé, un masque anti-gaz et le lourd casque d’acier allemand, arriva et marcha vers l’empereur au rythme de la musique martiale.
Lorsque le morceau toucha à sa fin, les musiciens gardèrent la pose, prêt à reprendre la musique.

– Seigneur von Pataten, mon élève ! Fit l’empereur. Je vois que vous tenez vos promesses, le « Stern des Todes » est fin prêt.

Le sombre soldat s’inclina légèrement vers l’empereur.

– Votre majesté… mon maître ! Fit-il d’une voix entrecoupée par une respiration bruyante et saccadée.

Cornélius von Pataten se tourna vers un gradé. Il retira son masque et son casque et les remit à l’officier. Celui que l’on surnommait avec crainte Schwarz Patate était entièrement chauve et portait une minerve. Il ajusta un monocle sur son œil droit et revint vers l’empereur.

– Vous semblez être bien remis de vos récents soucis de santé.
– Ja, un petit torticolis et une vilaine bronchite. Heureusement que le puissant et diaboliquement tentaculaire lobby de l’homéopathie est là pour nous soigner… Quelle sera la première mission du « Stern des Todes », mon maître ?
– Soutenir l’offensive que nos troupes mènent en ce moment en France et les écraser impitoyablement.
– L’offensive sur Feurdoune ?
– Feurdoune ?
– Ja, Feurdoune comme le traité de Feurdoune en 843…
– Ah ! Les Français prononcent Verdun… répète après moi, Cornélius : Ver-dun !
– Feur-doune !
– C’est pas grave ! De toute façon la prononciation n’est pas très importante.

L’empereur se tourna vers l’officier d’état-major.

– Donnez l’ordre de faire embarquer dans les soutes du « Stern des Todes » les toutes nouvelles bombes, celles que j’ai appelés « Bombes noires de la mort ». Aussitôt que cela sera fait, seigneur von Pataten, vous conduirez ce puissant vaisseau vers la France et vous écraserez Verdun… Une fois ce secteur conquis, vous volerez vers Paris. Je vous donne l’ordre de raser entièrement cette misérable ville de sorte que l’on ne puisse plus rien bâtir sur ses ruines.
– Oui, mon maître !

Alors que des centaines de puissantes bombes étaient embarqués dans le zeppelin, le comte Cornélius von Pataten regagna le poste de commandement du vaisseau et donna ses ordres à son second, le capitaine Carl Fouresten.

– L’équipage est-il au complet, capitaine Fouresten ?
– Ja, herr Graf !
– Faites-moi un topo complet sur la situation de Feur… de Verdun, s‘il vous plait.
– Bien sûr, herr Graf ! Sitôt après notre offensive, les Français ont sus s’organiser pour acheminer hommes et matériels sur la ligne de front. La résistance imprévue des soldats Français est une aubaine pour la propagande ennemie.
– Mais vous vous y entendez aussi en propagande, capitaine Fouresten. Je vous fais confiance pour galvaniser nos troupes et démoraliser les petits Français. Nous devrons aussi faire des prisonniers, le tortionnaire attitré de l’empereur fait partie de l’équipage.
– Ach ! Beaucoup de Russes sont entrés dans son donjon sans jamais en ressortir.
– Et pourtant les Russes sont réputés pour leur solidité alors imaginez avec les Français… !

Le comte von Pataten et le capitaine Fouresten se mirent à rire de manière diabolique.
Les bombes avaient étés embarqués. Le « Stern des Todes » mit le cap vers la France pour y répandre la mort et la désolation.

Verdun.
L’une des pires et des plus violentes bataille de la grande guerre.
Autrefois riante contrée ou quelques joyeuses et accortes bergères s’endormaient nonchalamment dans l’herbe fraîche, laissant le vent glisser sous leurs jupons coquins et faisant apparaitre leurs cuisses roses… Aujourd’hui contrée lunaire et dévastée par la folie de quelques hommes… peut-être les Allemands n’aimaient-ils pas les belles cuisses roses ?
En arrière de la ligne de front, une dizaine de prisonniers de guerre Allemands attendaient sous la garde de soldats Français.
Les combattants Allemands offraient un bien triste spectacle. Sales, épuisés, aux uniformes déchirés. Leurs yeux fixaient le sol. Ils semblaient avoir perdus toute volonté… jusqu’à leurs âmes…
Quand soudain leurs yeux se mirent de nouveau à pétiller. Au loin, une fringante silhouette se découpa à l’horizon et s’approcha d’eux.
Les Allemands sortirent de leurs poches des photographies et des crayons et se mirent à crier comme des midinettes : « Ach ! Kaporal Justice ! Un Autographe ! »
Le Caporal Justice griffonna son nom sur les photographies le représentant puis serra les mains des prisonniers Allemands
« Kaporal Justice, je peux te faire ein Kâlin ? » Demanda un prisonnier.
Le Caporal Justice le prit dans ses bras. Peu après les gardes emmenèrent les prisonniers vers l’arrière.
Un sous-officier s’approcha du héros.

– Caporal, demanda-t-il, pourquoi faites-vous des séances de dédicaces pour les prisonniers Allemands ?
– Eux aussi subissent la guerre. Répondit le Caporal. Un super héros se doit d’être super magnanime avec ses ennemis.

Quelle super indulgence !

Le Caporal Justice retourna dans les tranchées. Il avait maintenant trouvé sa vitesse de croisière : Quelques baffes par ci, un coup de croquenot par là et juste histoire d’alimenter sa boutique de souvenirs, quelques boucles de ceinturons arrachées à l’ennemi.
Depuis que le Caporal Justice avait rejoint le secteur de Verdun, les soldats Français retrouvaient leur entrain et depuis on s’étripait avec le sourire.
Au début de l’offensive allemande sur Verdun, le général Moustache avait fait appel au super Caporal pour retarder l’avance ennemie et lui permettre d’organiser la résistance.
Mission réussie !… mais pour combien de temps ?

Quelques jours auparavant, on avait signalé dans le secteur la disparition d’un aéroplane de reconnaissance et de ses deux pilotes.
Les deux malheureux avaient étés faits prisonniers et envoyés dans le plus grand secret à bord du zeppelin géant qui était amarré au-dessus de Metz.
Le comte Cornélius von Pataten les avait livrés au terrible tortionnaire de l’empereur. Durant une semaine, nos deux braves pilotes furent horriblement tourmentés par le pire pervers qui soit mais malgré l’abomination et l’atrocité du martyr qu’ils subissaient, les aviateurs ne parlèrent point… au contraire !
Schwarz Patate et son second, Carl Fouresten, attendaient le rapport du tortionnaire. Celui-ci ou plutôt celle-ci, arriva. Skarlett Meister était la seule femme officier de l’armée impériale. Originaire de Moselle, les territoires conquis pendant la guerre de 1870, son père était Mosellan et sa mère Poméranienne, on la surnommait Mad Moselle.
Durant son enfance, elle avait subi les moqueries des uns pour ses origines allemandes et des autres pour ses racines françaises.
Devenue une belle jeune femme à la longue chevelure blonde, aux yeux verts et aux formes avantageuses, elle se jura de faire payer aux hommes les moqueries endurées autrefois.
Dans son uniforme tout de cuir noir, la terrible Mad Moselle faisait subir aux prisonniers de l’Empire les pires traitements depuis le marquis de Sade et Léopold von Sacher-Masoch. Le puritanisme anglais et l’austérité russe n’y avaient pas résistés. Les hommes avaient étés brisés.
Mais avec les Français c’était une autre paire de manches !
Mad Moselle se présenta au comte et à son second. Elle semblait essoufflée et s’était recoiffée négligemment.

– Navré, herr Graf ! Mais je n’ai pas pu faire parler ces maudits Français.
– Was ? Mais cela fait une semaine que vous les torturez. Répondit le comte.
– C’est vrai mais j’ai découvert que les Français, contrairement aux autres peuples, avaient développés un comportement particulièrement léger vis-à-vis de la bagatelle. C’est à la fois culturel et naturel chez eux.

Au même instant, les deux aviateurs, encadrés par des gardes, étaient emmenés hors du zeppelin vers un camp de prisonniers. Nos braves faisaient de la résistance.
« S’il vous plait, faites-nous encore des trucs bizarres, madame ! », « J’ai été un vilain garçon, madame, je mérite d’être puni. » Dirent-ils avec des yeux remplis d’amour et en lançant de petits bisous. « Est-ce que vous pourriez encore nous dire des cochonneries en allemand ? », « Je peux faire une dernière petite léchouille sur vos bottes, avant de partir ? »

– Ach ! Fit le comte avec dégoût. Ces Franzosen, quels pervers ! Tant pis pour les renseignements. Nous allons lancer notre opération dès maintenant. Nous nous contenterons des informations que nos deux agents nous ont fait parvenir depuis Verdun. Vous pouvez lancer votre opération de propagande, Capitaine Fouresten.

Le Stern des Todes quitta Metz et s’envola pour les cieux de Verdun et sa funeste mission.

Quelques temps plus tard, dans les tranchées, une étrange épidémie se répandit parmi les soldats Français. Ces derniers devenaient apathiques, ne voulaient plus se battre, se laissaient aller à la dépression, certains avaient même tentés d’en finir avec la vie en absorbant des produits extrêmement dangereux comme de la bière sans alcool.
Les rapports sur ces étranges symptômes se multipliaient sur le bureau du général Pétain. La situation, de préoccupante, devint rapidement over flippante.
Le général convoqua le Caporal Justice dans la mairie du village de Souilly qui lui servait de QG et lui exposa le problème.

– Les Allemands inondent littéralement nos tranchées de première ligne de journaux remplis de fausses nouvelles, jusqu’à la plus dérisoire. La majorité de nos soldats n’y crois guère mais des rumeurs naissent à cause de ses fausses nouvelles et les hommes se laissent lentement gagner par le désespoir. Trouvez l’origine de ce problème et réglez-le rapidement. Déclara le général. Je soupçonne une opération de propagande de la part des Allemands. Cela pourrait aussi vouloir dire qu’ils ont l’intention d’intensifier leurs attaques et de rompre le front à Verdun… Le sort de la France est entre vos mains, Caporal.
– J’y vais de ce pas, mon général. Je dirais même plus, j’y vole… Tiens mais c’est vrai, je suis un super héros et je n’ai jamais essayé de voler. C’est l’occasion ou jamais !

Le Caporal, suivi par le général et son officier d’ordonnance, se rendit sur le toit de la mairie et s’apprêta à prendre son envol.
Le général confia ses doutes au Caporal en ce qui concernait ses aptitudes à voler.

– Si vous aviez la capacité de voler, vous le sauriez depuis longtemps. Allons, ne faites pas l’enfant et redescendez, vous me collez les miquettes.
– Je suis persuadé que je peux le faire. Renchérit le Caporal. Ca va être une grande première.

Le Caporal Justice s’élança dans le vide… et alla s’écraser lourdement devant la mairie.

– On est vraiment dans la merde ! Soupira le général Pétain.
– Euh !… Pourquoi, mon général ? Demanda l’officier d’ordonnance. Parce qu’il ne sait pas voler ou parce qu’il vient d’aplatir votre voiture ?
– Je vais éviter de répondre à cette question, je pourrais vous faire de la peine sans le faire exprès.

Quelques minutes plus tard, désormais convaincu qu’il ne pourrait jamais voler, le Caporal Justice se rendit vers les tranchées… à pied (Pédibus cum jambis, comme dirait l’autre).
En arrivant dans le réseau de tranchée qui sillonnait les environs de Verdun, il rencontra un cantinier et un tirailleur Sénégalais qui passait le temps en tapant le carton. Le cantinier, bien enveloppé et arborant une magnifique barbe, indiqua au Caporal que les journaux en question était généralement lancés depuis les avions d’observations allemands.
Ils avaient observés le changement de comportement des soldats depuis quelques jours. D’abord rumeurs et autres bouteillons circulaient et faisaient rire, puis les soldats tombaient sur les fameux journaux. Ils y lisaient d’accablantes nouvelles et lentement le défaitisme se répandait parmi la troupe.
Il y avait aussi le mystère du courrier. Plus personne ne recevait de lettres de l’arrière et le courrier qu’envoyaient les hommes à leurs familles disparaissaient. On parlait même d’un ou plusieurs espions Allemands qui s’étaient infiltrés dans les lignes.

– Merci pour les renseignements les copains.
– Attends, Caporal Justice. Est-ce qu’on peut venir avec toi ? Ici, on ne fait qu’assurer le ravitaillement des camarades, rien de bien passionnant. Demanda le cantinier.
– Pourquoi pas ! Mais je vous préviens qu’il peut y avoir du sport et de la bagarre.
– Super ! Je m’appelle Horace Pélardon, je suis le cantinier de ce qui reste du 233 RI.
– Moi, je suis Mafé, renchérit le tirailleur, je suis l’assistant d’Horace.
– Parfait compagnons ! Allons dénouer le mystère de ce phénomène qui rend patraque nos camarades.

Sur place, le Caporal Justice et ses deux acolytes découvrirent une situation qui menaçait de s’aggraver. Des mutineries risquaient d’éclater un peu partout sur la ligne de front. Un officier leur montra un exemplaire d’une édition vieille de quelques jours d’un journal local d’Alsace. La première page titrait fièrement : « Les vignerons Alsaciens se convertissent avec bonheur à l’hygiénisme allemand ».
Une photo montrait des vignerons Alsaciens arrachant avec un grand sourire, leurs pieds de vigne pour les remplacer par des brocolis et du soja.
L’article rapportait en outre que les populations françaises de Lorraine et des Flandres vivants sous occupation allemande détruisaient à grande échelle leurs fromages, vins et autres bières afin de les remplacer par du beurre de régime et de l’eau minérale.
Un journaliste Berlinois rapportait les propos d’un paysan de Lorraine.
« Sacrévindiou ! Bien sûr qu’on balance nos saloperies de fromages et de vins. Quand on a vu la belle allure des soldats Allemands, leur teint frais et leur souplesse, on s’est dit qu’on voulait aussi être comme eux. Quelle ne fut pas notre surprise en apprenant que c’est grâce à la culture et à l’hygiénisme allemand que les petits gars de Guillaume II sont aussi fringants. Alors maintenant on mange cinq fruits et légumes par jour, plus une goutte d’alcool et fini le tabac. La semaine prochaine on jette au feu tous nos exemplaires de littérature française et on se met à lire Goethe, Schiller et Hölderlin. »

– Mais c’est ignoble ! S’exclama le Caporal.
– En fait ce qu’il fallait lire, reprit l’officier, ce sont les articles concernant le probable remplacement du général Pétain par le général Nivelle, jugé plus offensif. D’après les différents articles, une stratégie plus offensive sur le secteur de Verdun n’aura pour résultat que de lourdes pertes humaines pour un gain dérisoire en terrain reconquis sur l’ennemi.
– Aah ! Et c’est grave ?
– Evidemment que c’est grave ! Les soldats adorent Pétain tandis que Nivelle n’a que bien peu de considération pour la vie des hommes. Regardez donc les gars de la ligne. Ils n’ont pas envie de se mutiner mais ils n’ont pas non plus envie de se faire tuer pour seulement un kilomètre carré de terrain qui sera reprit par l’ennemi avant le lendemain.
– On veut se battre pour la patrie, renchérit un soldat, pas pour permettre à un galonné incompétent de gagner son bâton de maréchal. Le père Pétain a de l’estime pour nous autres, si ces journaux disent vrai et qu’il est remplacé, on mettra crosse en l’air.

Le Caporal demanda à Gustave et à Mafé de rassembler les soldats de la première ligne autour de lui. Il les harangua tel Napoléon avec ses grognards.

– Vous savez qui je suis. Clama-t-il. Les nouvelles de ces journaux allemands vous ont plongés dans un désarroi bien compréhensible car les grands patriotes que vous êtes, sont avant tout des p’tits gars au cœur sensible. Mais, quelque soit les décisions du haut commandement, je vous demande de reprendre vos armes et de ne pas vous laisser gagner par le désespoir. Chaque soldat se dressant face à nos ennemis est important, son premier devoir est de rester en vie le plus longtemps possible afin d’emmerder le plus longtemps possible ceux d’en face.
– Et qu’est-ce que tu comptes faire, Caporal Justice ?
– Je vais neutraliser les espions Allemands qui interceptent votre courrier. Je vais neutraliser ceux qui impriment ces faux journaux et leur prouver la supériorité de la magnifique poésie, profonde et mystérieuse, de Victor Hugo sur celle de Goethe et j’empêcherais toute nouvelle offensive contre nos lignes.
– Mais pour ça, tu dois…
– …Aller derrière les lignes ennemies, je le sais.

À quelques kilomètres de là, dans un endroit isolé de la campagne Lorraine, se dressait une modeste petite ferme, loin de tout.
Des soldats Allemands assuraient une garde discrète des lieux. Les habitants, un couples de vieux paysans, avaient été chassés sans ménagements par les nouveaux occupants.
De l’extérieur on pouvait percevoir l’étrange bruit mécanique et répétitif de plusieurs machines. A l’abri d’un buisson le Caporal et ses deux compagnons observaient et comptaient les sentinelles.

– J’ai compté quatre gardes. Murmura le Caporal. Dis-moi Mafé, qu’est-ce qui te fait croire que c’est précisément ici que sont imprimés les faux journaux envoyés dans nos tranchées ?
– Le bruit qui vient de l’étable. Répondit le Sénégalais. Ce sont des rotatives de presse qui font ce bruit là.
– Tu as l’air de t’y connaître.
– Et comment ! Dans le civil, au Sénégal, je suis journaliste et écrivain… j’ai publié des romans et des recueils de poèmes. Chez moi, je suis une célébrité incontournable du tout-Dakar.
– Sans déconner ! Qu’est-ce que tu as écrit ?
– « Les baobabs du mal », « L’apprenti marabout », « Aboubakar et le Lion », « Les lettres de ma savane ».

Le Caporal Justice et Horace en sifflèrent d’admiration.

Au même instant, dans la pièce principale de la ferme, transformé en bureau de typographe, un jeune homme à la mine grave et austère déambulait parmi des ouvriers typographes travaillant à une nouvelle mise en page.
Les ouvriers semblaient craindre ce tout jeune homme qui coordonnait leur travail tout en promenant des yeux inquisiteurs sur eux. Le bruit métallique de sa prothèse orthopédique rythmait ses pas lents et mesurés.
Un ouvrier lui apporta une épreuve et la lui montra en l’appelant respectueusement « Herr Paul Joseph ». Le jeune homme prit l’épreuve et contempla le travail effectué avant de lire ce qui était écrit dessus.

« J’en ai discuté avec le président Poincaré et nous sommes tombés d’accord : Il est hors de question d’accorder le moindre privilège à nos soldats uniquement parce qu’ils sont soldats. C’est tout de même à cause de leurs reculades honteuses, qu’une partie de notre territoire est occupé par l’ennemi. Espérons que les Allemands les bousculent suffisamment pour qu’ils se reprennent enfin. Et s’ils en meurent, ma foi, tant pis pour eux, la France à des réserves de chair à canon. »

Déclaration du général Pierre Auguste Roques, ministre de la Guerre.

– Ach ! Magnifique cette fausse déclaration du ministre Français de la Guerre. S’exclama Paul Joseph. Décidément le capitaine Fouresten a un grand talent de propagandiste.

Paul Joseph regarda sa montre.

– Il devrait d’ailleurs bientôt arriver. Déclara-t-il. Mettez un peu d’ordre sur vos plans de travail, schnell !

Quelques minutes plus tard, Carl Fouresten arriva. Le maître propagandiste rendait visite à ses petites mains qui donnait vie à ses éclairs de génie.
Paul Joseph fut le premier à accueillir le capitaine dans les bureaux puis dans l’étable ou fonctionnaient une dizaine de rotatives.

– Ach ! Paul Joseph, mon fidèle stagiaire. Le travail d’impression de nos fausses nouvelles se passent-ils bien ?
– Ja, capitaine Fouresten. Nous avons déjà envoyés aux soldats Français des milliers de mensonges et d’informations, recueillies par nos espions et que le gouvernement français garde secret. Le courrier que nous détournons est très instructif. Sitôt dépouillés les lettres sont détruites. Ainsi le manque de nouvelles de l’arrière, mine encore plus le moral des troupes ennemies. Nous avons aussi collectés les résultats de missions des Drachens et des avions d’observations. Grande nouvelle, capitaine Fouresten, en de nombreux endroits du front ; des milliers de soldats ennemis sont prêts à se mutiner grâce à votre génie machiavélique et bientôt le secteur de Verdun se transformera en un gigantesque passage pour les armées du Kaiser en route vers Paris.
– Tout cela est très bien mon jeune stagiaire mais avant que nos soldats ne marchent sur Verdun, une opération kolossale de destruction devra être exécutée. Il ne faudrait pas que notre progression soit entravé par quelques combattants Français, réfractaires à ma propagande. C’est pour cela que le Stern des Todes a pour mission de détruire Verdun avant de faire subir le même sort à Paris.

Les deux misérables rirent ensemble. Le capitaine Fouresten sortit un papier d’une poche de sa veste et y jeta un œil.

– Au fait ! Reprit-il. J’ai lu vos esquisses de slogans. Excellent ! « Ein Kaiser, ein Reich, ein Volk! ». C’est très bien trouvé, mon petit Paul Joseph. Vous avez du talent et de l’avenir… comme publicitaire, journaliste ou encore politicien.
– Ach ! Mon maître, je veux suivre votre exemple et devenir un grand propagandiste comme vous.

En entendant cela, Carl Fouresten prit un air lointain et mystérieux.

– Tu sais mon petit Paul Joseph, propagandiste est bien plus qu’un métier, c’est une destinée. Et comme toutes les grandes destinée, son cheminement se fait dans la solitude. Tu auras beaucoup d’ennemis et fort peu d’amis, les gens ne comprendront pas les secrets enfouis de ton cœur… mais propagandiste est une magnifique vocation…

Soudain l’un des soldats assurant la sécurité de la ferme, traversa le mur de l’étable et alla s’encastrer dans l’une des rotatives imprimant les faux journaux.
« Ach ! Je crois qu’on a de la visite, mon capitaine » Fit la sentinelle avant de s’évanouir sur le papier journal encore humide d’encre.
Ce qui restait du mur de l’étable s’effondra et les Allemands aperçurent un soldat Français au visage masqué flanqué d’un tirailleur Sénégalais et d’un cantinier à la barbe impressionnante.

– Salut bande de grosses fiottes ! On vient pour vous empêcher de propagander en rond.
– Ach so ! Le Caporal Justice. Il faut prévenir le hangar.

Le capitaine Fouresten se précipita vers un poste de transmission et lança un appel à son supérieur tandis que Paul Joseph et les ouvriers typographes se jetait sur les trois Français pour tenter de les retarder.
Le Caporal Justice balaya rapidement les Allemands et s’approcha de Carl.

– Hin hin ! Trop tard, Caporal Justice. J’ai réussi à prévenir mon commandement de ta présence. Tu nous a seulement obligé à hâter nos plans.
– Bon, dans ce cas !

Le Caporal écrasa le museau de Carl d’un bon vieux bourre-pif de chez papa, ce qui envoya le propagandiste traverser l’étable puis le corps de ferme et le fit atterrir dans le petit cabanon extérieur servant de latrines aux anciens propriétaires.

– Cet officier a parlé d’un hangar. Fit le Caporal. Qu’est-ce que cela pourrait être ?
– Peut-être que le pied bot pourrait nous en dire davantage. Répondit Horace.

Le cantinier se saisit de Paul Joseph et le questionna sur ce fameux hangar.

– Allez vous faire voir, bande de Français ignares et incultes. Vous n’êtes qu’un peuple frustre et arriéré.
– Houlà ! Rétorqua Horace. Tu veux t’engager sur ce terrain ? Comme tu veux. Tiens, en voilà de la Gross Kultur !

Horace distribua une série de baffes au jeune stagiaire de Carl tout en récitant les premiers vers d’un poème latin.

« Peruigilium Veneris
Crás amét qui númquam amáuit, quique amáuit crás amét.
Vér nouúm, uer iám canórum. Vére nátus órbis ést,
uére cóncordánt amóres, uére núbunt álités,
ét nemús comám resóluit dé marítis ímbribús.
Crás amórum Cópulátrix ínter úmbras árborúm
ímplicát casás uiréntis dé flagéllo myrteó.
Crás Dióne iúra dícit fúlta súblimí thronó.
Crás amét qui númquam amáuit, quíque amáuit crás amét. »

Paul Joseph finit par parler (était-ce les baffes ou le poème, on ne le saura jamais). Il expliqua qu’un aérodrome militaire se trouvait à trente kilomètres de là. Un gigantesque hangar à zeppelin avait été construit à côté. C’était à cet aérodrome que les faux journaux étaient envoyés pour être ensuite largués au-dessus des positions françaises de Verdun. La base était sous le commandement du terrible comte Cornélius von Pataten, élève de l’empereur Guillaume en personne. L’opération consistait à désorganiser suffisamment les troupes françaises afin de permettre à une grande offensive terrestre et aérienne de prendre la place de Verdun puis de lancer les armées allemandes à la conquête de Paris.
Pour ce sinistre dessein, l’état-major allemand avait du recourir aux bons offices de seulement deux agents secrets, des espions chevronnés. Ces derniers avaient pus recueillir de nombreux renseignements sur les défenses françaises ainsi que sur la localisation précise des différents postes de commandement des troupes alliées. La prochaine attaque d’envergure allemande devait se baser sur ces mêmes renseignements pour détruire ce qui resterait de la résistance de l’armée française. Le vol du courrier des soldats avait seulement pour but de couper toute communication avec l’arrière et d’accélérer l’œuvre de démoralisation des combattants Français.
Horace lâcha Paul Joseph et en profita pour ramasser les papiers d’identité du stagiaire.

– La transmission que leur officier a réussit à établir, va probablement pousser ce comte von Pataten à avancer le déclenchement de leur offensive sur nos lignes.
– Mafé a raison, nous devons empêcher cette offensive d’être lancée.

Le Caporal et le tirailleur regardèrent Horace en souriant. Le cantinier les interrogea du regard.

– Tu as de beaux restes en latin.
– Et puis avec l’accent et tout et tout !
– Bah, quoi ! J’ai fait latin première langue à partir du CM1, comme tout le monde.
– On ne se permettrai pas de juger. Nous, on s’est contentés de faire grec ancien à partir du CE1.
– Je vois le genre ! Bourgeois et compagnie ! Pendant que môssieur apprenait à lire avec les « Pensées » de Pascal, nous, à l’école public, on devait se contenter de « La princesse de Clèves ». Vous savez quoi ? Ce roman, que tout le monde connaît par cœur, c’est le roman du pauvre, des petites gens. C’est le symbole de la culture des classes laborieuses.

Paul Joseph se releva et toisa avec défi les trois soldats Français.
« Pfff ! Vous me faites marrer avec votre culture à la con ! »

– Qu’est-ce que je fais ? Demanda Horace à ses deux compagnons. Je le coince dans ses rotatives ?
– Voyons, c’est un handicapé. Une bonne gifle suffira.

Le stagiaire se prit une claque et les trois soldats prirent la direction de l’aérodrome du comte von Pataten.
« Ouiiiiin ! J’m’en fous parce que la prochaine fois que j’entendrais le mot culture, je sortirais un flingue, d’abord ! » Pleura Paul Joseph en frottant sa joue endolorie.

– Qu’est-ce qu’il est chiant ! S’exclama Mafé. Il en a jamais assez. Comment s’appelle ce loustic ?
– Paul Joseph Goebbels d’après ses papiers d’identité. Répondit Horace en détaillant les papiers du stagiaire. C’est un étudiant, il faisait un stage de propagande auprès de l’armée.
– Je crois qu’on a bousillé son stage. Renchérit le Caporal Justice. C’est pas demain la veille qu’il deviendra chef de la propagande en Allemagne, celui-là !

Quelques heures plus tard, ils arrivèrent près de l’aérodrome. Le hangar à zeppelin dont avait parlé Paul Joseph était gigantesque, trois à quatre fois plus grand que ce que les trois soldats français avaient pus voir jusque là.
Sur l’aérodrome l’atmosphère était fébrile. Sur celui-ci et dans les bâtiments qui en dépendaient, on pouvait observer une grande activité. De l’un d’eux, des manutentionnaires sortaient des caisses de cartouches ainsi que différents types de mitrailleuses et fusils mitrailleurs allemands, français et Anglais.
« Des prises de guerre, commenta Horace, ils doivent en équiper leurs aéroplanes et leurs zeppelins. »
C’est alors qu’ils virent l’expression du mal en personne. Se dirigeant vers le hangar à zeppelin, le comte Cornélius von Pataten, enveloppé dans son uniforme aussi noir qu’une nuit sans lune et accompagné d’une fanfare qui jouait la marche impériale.
« En voiture Simone ! S’exclama le Caporal Justice. Le comte va embarquer dans un zeppelin et lancer son attaque sur nos lignes. Il faut intervenir avant que le dirigeable ne prenne son envol. »
Les trois aventuriers se ruèrent vers les pistes de décollage mais plusieurs dizaines de fantassins Allemands se mirent en travers de leur chemin.

– Bigre ! Des troupes d’assaut. S’exclama Mafé.
– Autrement dit en allemand, ce sont des Sturmtruppen. Renchérit Horace.

Pendant que nos trois héros fichaient des trempes aux Allemands, le gigantesque hangar s’anima. Les portes de ce dernier restèrent fermées mais en revanche le toit s’ouvrit et un zeppelin aux proportions phénoménales en sortit : Le « Stern des Todes », l’Etoile de la mort.

– Saperlipompiste ! Un zeppelin géant. Vous avez vu tous ces canons et ces mitrailleuses ?
– S’il réussit à prendre son envol et à rejoindre le front, ce sera une véritable boucherie.
– Vite dépêchons-nous, camarades !

C’est alors qu’un nouvel ennemi rompit leur élan en faisant claquer un fouet. Une grande blonde vêtu d’un uniforme d’officier tout en cuir noir leur barra la route et planta ses yeux verts ensorcelants dans le regard des trois Poilus. Elle les hypnotisa.

– Ooh ! Bonjour madame, t’es jolie ! Fit le Caporal.
– Je suis Skarlett Meister, Mad Moselle et je serais votre maîtresse. Toi, le Sénégalais, va me chercher une tasse de thé.
– Voui, m’ame Skarlett !
– Toi, le gros barbu, tu es… un labrador.
– Voui, madame ! Je serais votre gentil toutou.
– Quant à toi, le super justicier Français… tu as été un vilain garçon. Je vais te punir et te dire des cochonneries en allemand.

Le super Caporal regarda Mad Moselle puis ses deux compagnons sous l’influence de cette dernière.

– Franchement, je suis tenté mais je dois arrêter ce zeppelin… et mes supers pouvoirs me protègent de l’hypnose.

Le Caporal Justice se saisit de Mad Moselle et lui administra une vigoureuse fessée en la traitant de vilaine petite coquine Germano-Mosellane.
Malheureusement, le temps qu’il en finisse avec la redoutable tortionnaire et que ses deux compagnons reprennent leurs esprits, le Stern des Todes était déjà haut dans le ciel.

– Mince alors ! On l’a manqué. S’exclama Mafé. Tes supers pouvoirs ne te permettent pas de voler ?
– J’ai déjà essayé et la voiture du général s’en souvient encore.

C’est alors que le Caporal Justice eut une idée de génie, ce qui est assez rare. Il demanda à Mafé et à Horace d’aller rapidement s’équiper de mitrailleuses et de vérifier la solidité de leur brelages de cuir.
Horace revint armé d’un FM Chauchat et Mafé, d’une mitrailleuse Lewis.
« Quel est ton plan, Caporal ? Demanda Horace. Certainement une stratégie pleine de finesse et d’élégance bien française. »
Pour toute réponse, le Caporal défit son pantalon.

– Euh… ! Là, ça devient gênant ! Déclara Mafé.
– Désolé les copains mais il n’y a que ce moyen pour essayer d’intercepter ce zeppelin.

L’incroyable se produisit. Le Caporal Justice avait la capacité de voler… en faisant l’hélicoptère avec sa bistouquette.
Horace et Mafé accrochèrent leurs brelages aux bandes molletières du Caporal et le trio héroïque s’envola à la poursuite de l’Etoile de la mort.
Skarlett Meister, l’œil énamouré et la fesse endolorie, regardait son nouveau héros s’éloigner dans les airs, maniant son manche avec dextérité et à la poursuite de cette petite coquine de fée que l’on nomme Aventure.

Dans le poste de pilotage du Stern des Todes, le comte Cornélius von Pataten ruminait la perte d’un grand propagandiste de génie et du tortionnaire attitré de l’empereur.
« Krotte de bique ! Ce maudit Caporal Justice me le paiera… L’empereur va me passer le savon du siècle lorsqu’il apprendra que Mad Moselle est tombé entre les mains de l’ennemi et en plus je n’ai aucune idée de ce qu’il est advenu de mon diabolique second après son dernier message. »
Un homme au visage cagoulé arriva dans le poste.

– Tiens ! L’un de mes deux espions. Vous avez le grade de capitaine, c’est cela ? Vous prendrez donc la place du capitaine Fouresten.
– Merci monsieur le comte, répondit l’homme cagoulé, L’équipe de pilotage m’a prévenu que nous serions bientôt au-dessus des lignes françaises. Dans une petite heure, les troupes d’infanterie et l’artillerie allemande seront prêts à coordonner leurs attaques.
– Très bien ! Ordonnez aux artilleurs de se préparer à déchaîner les enfers sur les Franzosen et faites préparer les bombes noires de la mort pour la destruction des cibles stratégiques. Grâce aux renseignements que vous nous avez transmis, l’armée française va bientôt perdre ses plus prestigieux chefs.

L’officier-pilote du Stern des Todes prévint le comte et le capitaine cagoulé qu’un « appareil » volant avait prit en chasse le zeppelin.

– Was ? Un avion de chasse ? Demanda le comte.
– Euh… non ! Il s’agit d’un gros barbu et d’un Sénégalais accrochés aux bandes molletières d’un troisième qui vole… comment dire… en faisant tournoyer… son machin…

Le comte et le capitaine se rendirent près d’un hublot et aperçurent le curieux équipage en train de révolutionner le bon vieux rêve de Dédale et Icare.

– Gott ! Le Caporal Justice. Capitaine, envoyez les Mauser Fokker.
– À vos ordres, monsieur le comte.

Depuis la piste de décollage qui se trouvait sur la coque rigide du Stern des Todes, les quatre redoutables triplans décollèrent pour intercepter le premier équipage d’hélicoptère de combat de l’histoire de l’aviation.
Les pilotes fonçaient sur le trio en ouvrant le feu. On pouvait entendre leurs rires sadiques parmi les bruits des moteurs et les cliquetis des armes à répétitions.
« Mouhahahaha ! Kaporal Justice, du bist tot ! »
Mafé et Horace tiraient de longues rafales sur les Mauser Fokker lorsque ceux-ci fonçaient sur eux puis continuaient de les mitrailler lorsqu’ils s’éloignaient.

Fusil-mitrailleur Chauchat Mdl 1915
FM Chauchat

Horace réussit à dégommer l’un d’entre eux en bigornant le faible fuselage des ailes. Celles-ci se déchirèrent et l’appareil se mit à tomber comme une masse.

Mitailleuse-1914-Lewis-9
Mitrailleuse Lewis

« Ach ! Je crois que je vais me faire gronder par mon chef. » S’exclama le pilote.
Un deuxième appareil se rua sur l’équipage en mitraillant tout ce qu’il pouvait. Mafé répliqua par plusieurs rafales de Lewis qui endommagèrent le moteur. Une fumée noire se dégagea avant qu’une faible explosion ne provoque l’incendie du moteur.
Le pilote ne contrôlait plus son appareil et celui-ci s’éloigna de la bataille avant de piquer vers le sol.
« Ach so ! Es ist nicht wunderbar ! »
Les deux derniers appareils tentèrent de coordonner leurs attaques. Le premier poursuivi et mitrailla l’équipage ennemi qui louvoyait pour éviter les balles, le Caporal Justice maniant son… hélice avec une telle virtuosité.
Le second triplan manœuvra de sorte à se retrouver immédiatement sur son flanc droit, volant ainsi parallèlement à lui.
Soudain il vira brutalement sur sa gauche et fonça sur le Caporal tout en le mitraillant à son tour.
« Mouahahaha ! Tu es fini, Kaporal Justice ! »
C’est alors que le Caporal opéra un piqué vers le sol.
« Accrochez-vous à vos slips ! » Dit-il à ses équipiers bien malmenés par l’aventure.
Les deux pilotes Allemands, surpris par cette dérobade soudaine, suivirent le petit équipage du regard sans changer de direction.
« Ach so ! Manœuvre audacieuse. »
« Donnerwetter ! Super Pilot ! »
Mais en relevant la tête, les deux pilotes se rendirent compte trop tard qu’ils fonçaient l’un sur l’autre. Les deux Mauser Fokker se percutèrent, provoquant une grande boule de feu.
Ce qui restait des deux triplans tombèrent vers le sol dans un sillage de flammes et de fumée noirâtre tandis que les deux pilotes chutaient lourdement eux aussi en battant des bras et en criant :
« Ach ! on s’est fait avoir comme des bleus par ces pignoufs de Franzosen ! »

Le Caporal Justice déposa d’abord Horace et Mafé sur la piste de décollage du zeppelin. Ils détachèrent leurs brelages des bandes molletières du Caporal qui alla atterrir un peu plus loin avant de se reculotter.
« Allons neutraliser l’équipage de ce zeppelin avant qu’il n’arrive au-dessus de Verdun. »
Les trois hommes entrèrent dans la coque rigide du dirigeable par des passerelles métalliques et se dirigèrent vers les nacelles.
Ils passèrent à côté des nombreuses cellules d’hydrogène qui maintenaient le Stern des Todes en l’air.
« Surtout pas de bêtises avec ses machins là ! Prévint Horace. Si l’un d’entre eux est percé et que le gaz prend feu, on est tous cuits. »
Une échelle métallique permettait de passer de la coque rigide à la vaste nacelle principale située dessous la coque. Horace et Mafé passèrent les premiers mais alors que le Caporal Justice allait s’engager à leur suite sur l’échelle, un homme cagoulé apparut près des cellules d’hydrogène et appela le Caporal par son vrai nom.
Ce dernier comprit qu’il s’agissait là d’un défi, remonta dans la coque et prévint ses compagnons qu’il les rejoindrait plus tard.
Le Caporal s’approcha de l’homme cagoulé et lui demanda qui il était.

– Vraiment ? Tu ne sais pas qui je suis ? Répondit ce dernier tout en s’équipant d’un lance-flammes. Je suis l’un des deux espions qui a renseigné l’état-major allemand sur les positions françaises et qui seront bientôt écrasées sous les bombes et les obus.
– Au cas ou tu ne le saurais pas, le feu ne me fait rien du tout…
– Je ne compte pas utiliser ce lance-flammes sur toi mais sur les cellules d’hydrogène du zeppelin. Je connais tes pouvoirs mais aussi ta faiblesse : Ton esprit de camaraderie. Je sais que tu survivras à la formidable explosion qui en résultera mais tes deux acolytes mourront, ainsi que les nombreux soldats Français qui vont bientôt se trouver juste en-dessous de nous et sur lesquels tomberont les débris enflammés de l’Etoile de la mort.
– Tu n’oseras pas.
– Bien sûr que je le ferais et tu es bien placé pour le savoir.

L’espion retira sa cagoule et montra son visage de traître pervers et dégénéré : Le capitaine Val.

– Toi ? Mais tu es un officier des cohortes républicaines… et tu oses trahir la France en espionnant pour les Allemands ?
– Un vrai garde républicain est avant tout républicain, la France importe peu. Surtout, si j’ai offert mes services à l’Allemagne, c’est pour pouvoir en finir avec toi, Caporal Justice, pour me venger de toutes les humiliations que tu m’as fait subir… Rends-toi ou nombre de soldats Français périront dans les flammes.

Lecteurs, accrochez-vous à vos fauteuils. Vous n’allez pas le croire mais le Caporal Justice décida de capituler sous la menace.

Pendant ce temps, Horace et Mafé tentaient de progresser dans la vaste nacelle du zeppelin. L’équipage qui tentait de s’opposer à eux était repoussé à coup de rafales de mitrailleuses mais les cartouches vinrent à manquer. Les deux nobles combattants se réfugièrent dans les toilettes du zeppelin.
Soudain une musique se fit entendre : La marche impériale.
Le comte Cornélius von Pataten fit son apparition, toujours suivit de son orchestre. C’est important d’imposer une ambiance martiale !
Le comte apparut, tout de noir vêtu, avec son casque et son masque anti-gaz. Sa respiration bruyante avait le pouvoir de glacer le sang… mais pas celui des courageux soldats Français.

– Je connais quelqu’un qui aurait bien besoin d’une pastille de menthe pour se dégager les voix respiratoires. S’exclama Horace.
– Avec l’allure qu’il se donne avec son costume, je pense qu’il serait plus judicieux de dégager d’autres voix. Répliqua Mafé.

Les deux Français rigolèrent bruyamment.
« Hi hi ! Das rikolade ! Fit un soldat Allemand qui se reprit bien vite, sentant sur lui, le regard courroucé du comte. Enfin… je veux dire… quelle insolence, ces Franzosen ! »

– Rendez-vous. Déclara Cornélius. Je sais que vos armes n’ont plus de cartouches. Vous êtes à notre merci.

Horace et Mafé durent se rendre à l’évidence. Leurs armes ne leur étaient plus d’aucune utilité. Ils les jetèrent et sortirent de leur abri dans l’intention de jouer leur ultime carte.
Les soldats qui tentèrent de se saisir d’eux se firent écraser le museau par de prompts crochets du droit.

– Himmel ! Un nègre. S’exclama Cornélius en voyant Mafé.
– Certainement pas ! Rétorqua l’intéressé. Je signe mes articles et mes œuvres de mon nom. Je suis suffisamment à l’aise financièrement pour ne pas avoir besoin d’écrire pour le seul bénéfice d’un gougnafier qui s’attribuerais la paternité de mes écrits en se contentant d’y apposer son nom.
– Je voulais dire que vous êtes noir.
– Quel toupet ! Je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool de toute la journée.
– Mais non ! Vous le faites exprès ou quoi ? Je veux dire que vous avez la peau noire.
– Et alors ? Je vous signale que j’en ai autant à votre service.
– Mais c’est mon uniforme, ça n’a rien à voir !
– Il n’empêche, vous êtes quand même noir, vous aussi.
– Bon ! Ca suffit les conneries ! S’écria Cornélius en tirant son épée et en la pointant vers Mafé.
– Oh ! Magnifique épée ! Remarqua Horace. Et je m’y connaît.
– Danke. Je l’ai faite faire par un célèbre artisan-forgeron Suisse : Charles Lazère.
– Si c’est une épée Lazère, tout s’explique !

Le comte fendit l’air de son épée en exécutant de savants moulinets puis plaça la pointe de celle-ci sous le nez d’Horace puis de Mafé qui se résignèrent.

Le Caporal Justice avait rejoint ses compagnons. Ligotés sur des chaises, ils faisaient face au comte, qui avait retiré son casque et son masque, et au capitaine Val, assis derrière une petite table. Derrière eux, silencieux, se tenait l’orchestre du comte dont le rôle était d’animer de leur musique les situations pouvant être dignes d’intérêt.
Un soldat Allemand servit une verre de vin rouge au comte.

– Votre intervention, commença ce dernier, n’a fait que retarder notre arrivée au-dessus du front. J’ajouterais que cela a permit aux troupes au sol de se préparer à l’assaut final. Dans quelques minutes vous assisterez à la destruction de l’armée française. Je bois donc à notre future victoire mais aussi à la capture du redoutable Caporal Justice.

Le comte prit le verre de vin et le porta à ses lèvres. Il bu une gorgée mais fit une grimace de dégoût.

– Ach ! Ce vin est un peu âcre. C’est bien ce que les Français appellent un « bon gros rouge qui tâche » ?

Le soldat Allemand revint avec un plateau chargé d’un siphon, d’un pot à glaçons et d’un nécessaire à tartines et le déposa sur la table du comte.
Cornélius von Pataten se saisit du siphon et pointa l’embout vers son verre de vin sous le regard horrifié des trois Français.

– Un peu d’eau de Seltz adoucira le goût de ce pinard franzosen.

Le comte actionna le siphon et une dose non négligeable d’eau chargée d’acide carbonique sous forte pression se mélangea à la texture subtile et délicate du nectar dionysiaque.

– Salaud !
– Barbare !
– Vandale !
– Ach ! Il fait un peu chaud, je vais rajouter trois petits glaçons dans mon verre de vin à l’eau de Seltz et ensuite j’y tremperais un énorme bretzel tartiné d’un excellent fromage de Munster fondu au lait pasteurisé. Et vous capitaine Val, que prendrez-vous pour votre goûter ?
– Une succulente spécialité de la ville de Hambourg qui s’appelle le Hamburger. Répondit le vil traître. Avec une sauce au chocolat, des sardines grillées et une petite vinaigrette au piments rouges.

Les deux infâmes sadiques se régalèrent autant de leur barbarie que de la perversité contre-nature de ce qu’ils osaient manger.
Les trois Français avaient déjà vus nombre d’horreurs durant près de deux années de guerre mais cette fois-ci, ils devaient supporter l’enfer.
Mafé ne put en supporter davantage et s’évanouit. Horace transpirait à grosse goutte tandis que le Caporal Justice préférait fermer les yeux pour ne pas voir un tel spectacle.

– Miam miam ! Ces hamburgers sont délicieux. Fit le capitaine Val.
– Mmmh ! Es ist gut ! Renchérit le comte.

Soudain un détail revint à l’esprit d’Horace.

– Dis donc, Caporal ! Demanda-t-il. Comment le capitaine Val a-t-il réussit à te maîtriser ?
– Il menaçait de détruire les cellules d’hydrogène avec un lance-flammes.
– Et maintenant, qu’est-ce qu’il a dans les mains ?
– Un hamburger.
– Et nous ne sommes pas dans le voisinage des cellules de gaz ?
– Effectivement !
– Et tu es attaché à une chaise en bois avec des cordes.
– Ooh ! Je crois que je commence à comprendre.
– Tu es quand même un peu long à la détente !

Le Caporal brisa ses liens et sa chaise simplement en se mettant debout. Le comte appela la garde et s’enfuit aussitôt par une coursive.
Une dizaine de soldats arrivèrent pour aider le capitaine Val à couvrir la fuite de Schwarz Patate. Le Caporal se jeta dans la bataille avec fougue et rossa les soldats Allemands. Dans la mêlée, il se saisit d’un violoniste de l’orchestre qui le supplia de ne pas lui faire de mal.
« Ach ! Kaporal, nous ne sommes que l’orchestre du comte, nous ne sommes pas armés… et en plus nous sommes gentils. »
Le Caporal ne leva pas la main sur les musiciens et les écarta même du combat contre les gardes.
Le super soldat attrapa un adjudant de la garde par les chevilles et le fit tournoyer au-dessus de sa tête, balayant et assommant ainsi tous les autres.
Emmanuel Val brandit alors un revolver et le pointa vers Mafé, toujours évanouit. Le Caporal attrapa le bras du traître et tenta de dévier son tir. Un coup de feu retentit et la balle fit exploser la bouteille de gros rouge horriblement torturé par le comte. Le précieux liquide se répandit sur la table et le sol.
Mais la lutte entre le Caporal et le capitaine continuait sous les yeux des musiciens de l’orchestre et d’Horace qui avait eut le temps de se libérer de ses liens.
Une seconde détonation retentit et une ogive de 8mm fila cette fois-ci en direction du tirailleur Sénégalais qui venait tout juste de reprendre conscience. N’écoutant que son courage, le soldat-cantinier d’infanterie légère de deuxième classe Horace Pélardon, fit barrage de son corps pour sauver le camarade tirailleur. Il s’effondra au sol après que son front eut violemment porté contre le bois de la table. Une tâche rouge maculait sa chemise et il gisait désormais au pied de Mafé qui se défaisait de ses liens.
Le Caporal désarma enfin le capitaine Val. Il se saisit du siphon d’eau de Seltz et lui planta l’embout dans un endroit qu’un minimum d’éducation chrétienne m’interdit de citer… bof, après tout !… dans le cul ! Emmanuel Val exprima son mécontentement en poussant un petit « Huiiik » de surprise.
Le Caporal et Mafé se rendirent aussitôt au chevet du camarade qui avait noblement sacrifié sa vie.

– Il est tombé au champ d’honneur. Déclama Mafé qui retrouvait ses automatismes d’écrivain. Tu n’étais qu’un homme mais tu avais un cœur de géant, terrassé par les tempêtes de l’Histoire, par la folie des hommes. En te dressant face à l’adversité, tu as inscrit ton nom dans la longue mémoire de ceux qui se souviennent.

Les musiciens de l’orchestre, émus par le sacrifice du cantinier entonnèrent l’adagio d’Albinoni.

– Sur les frontons des palais et des temples de pierres blanches apparaîtra désormais ton nom, continua Mafé, côtoyant ceux des plus grands. Tel Léonidas donnant sa vie aux Thermopyles, tu nous montres que le don de soi ouvre les chemins de la gloire et de la béatitude éternelle.
– Ouiiin ! Pleura le Caporal. Meurs pas, copain !

Soudain le miracle se produisit. Horace ouvrit les yeux et regarda avec étonnement ses compagnons d’armes.

– Ca vous arrive souvent de faire dans le lacrymal ? S’exclama le miraculé.
– Tu n’es pas mort ?
– Mais bande de mabouls, bien sûr que je ne suis pas mort. Je me suis seulement cogné la tête contre la table.
– Et tous ce noble sang couvrant ta virile poitrine de l’écarlate tunique des guerriers ?
– Ma virile poitrine ! Non mais ça va pas bien ? C’est du pinard, bande de bourriques ! C’était une vraie torture de vous entendre chouiner comme des pleureuses antiques pendant que les joueurs de crincrins nous interprétaient du larmoyant à fond les gamelles !
– Bon… alors, tu te sens mieux ?
– Pas trop, j’ai encore bobo à la tête !

Les musiciens et Mafé s’occupèrent du camarade blessé tandis que le Caporal Justice rejoignait la plate-forme de pilotage du zeppelin.

Au sol, dans les lignes françaises, l’apparition du zeppelin dans le ciel de Verdun provoqua un branle-bas de combat. Le général Pétain observait l’aérostat à la jumelle et prononça une phrase qui devait passer à la postérité : « Nom d’une chique ! L’empire contre-attaque. »

Dans le poste de pilotage, le comte se recouvrit la tête de son masque anti-gaz et de son casque puis ordonna de transmettre l’ordre d’ouvrir le feu sur les positions françaises.

– À vos ordres, herr Graf ! S’exclama un officier qui se saisit d’un combiné en forme de cornet.

Ce dernier commença à transmettre les ordres mais fut brutalement interrompue par un jet inopiné de mallette de secours en métal dans la tronche.
Après avoir réussit un excellent lancé et aussi à empêcher l’ordre d’attaque d’être transmis à la passerelle des artilleurs, le Caporal Justice pénétra dans le poste de pilotage.
Schwarz Patate se dressa dans toute sa noirceur et brandit sa main devant le super justicier. Dans un silence angoissant, seulement ponctué par la respiration bruyante du comte, ce dernier referma lentement sa main en un poing qui semblait concentrer toute la force de la colère et du mal qui émanait du terrible personnage.

– Vous essayez de faire quoi ?
– J’essaie de t’étrangler à distance par la seule force de mon esprit.
– D’accord !… Et ça marche ?
– Manifestement non.
– Flûte alors !… Je peux essayer ?
– Oui, bien sûr.

Le Caporal brandit sa main, ferma son poing… et l’écrasa sur le museau du Pruscos qui fut projeté à travers le poste de pilotage jusqu’à passer au travers de la verrière de celui-ci.
Les hommes du poste se rendirent aussitôt. Le Caporal remarqua que le sol du poste de pilotage était jonché de petits bouts de saucisses de Francfort. Les prisonniers informèrent le Caporal que ces saucisses avaient étés mâchouillés par le second espion qui s’était enfuis en parachute peu de temps auparavant. Le super soldat leur ordonna de faire atterrir le zeppelin derrière les lignes françaises.

Lorsque l’Etoile de la mort fut enfin amarré au sol, l’équipage fut pris en charge par des gendarmes qui les conduiraient vers un camp de prisonniers de guerre.
Horace, portant un bandage sur le front, et Mafé sortirent du zeppelin. Leur apparition irradia l’assistance qui fut émue par ce qu’elle voyait.
L’apparence des deux guerriers Francs avait irrémédiablement changé. Le regard lointain, la peau tanné par l’astre cuisant de la destinée et les traits aussi burinés que ceux d’un chamelier Ouzbek, par les tempêtes de l’aventure.
Les camarades présents se mirent au garde à vous et saluèrent avec respect les deux Poilus. Le général Pétain vint accueillir les deux soldats, monuments vivants de la bravoure française. La moustache frémissante d’émotion et l’œil humide d’admiration, il leur serra la main avec chaleur.
Le Caporal Justice apparut à son tour, accueillit cette fois par les vivats des soldats Français. L’orchestre du comte se permit même de jouer un petit air entraînant de guinguette de bord de Marne.

– Caporal Justice, dit le général, la France toute entière vous est redevable.
– Pas de quoi mon général ! J’avais une bonne équipe. À l’intérieur vous trouverez l’un des deux espions qui renseignait les Allemands. Il s’agit du capitaine Emmanuel Val. Il faudra le transporter à l’hôpital.
– Cela ne m’étonnes guère. Un vrai patriote tel que vous, a du réduire en bouillie cette misérable fripouille…

Au même instant deux brancardiers sortirent le capitaine Val sur une civière.

– C’est bien ce que je crois qu’il a dans le… ?
– Oui, mon général… je n’ai rien trouvé d’autre.
– Et… on peut actionner le siphon ?
– Non, non, s’écria Emmanuel, vous ne pouvez pas, vous n’avez pas… Huiiik, Huiiiiik !

Après avoir bien rigolé, le général fit signe aux brancardiers d’emmener le traître.

– Aucune information sur le deuxième espion ?
– Rien si ce n’est des bouts de saucisses de Francfort mâchouillées, sa marque. Il s’est éclipsé lorsque l’offensive allemande à commencé à sentir le fromage.
– Tant pis ! Un sur deux c’est déjà ça ! En revanche nous avons récupérer le comte von Pataten. Lorsque vous avez balancé celui-ci par dessus bord, il est tombé dans les latrines des tranchées de seconde ligne. Nous allons l’envoyer sous le soleil du Maroc, il y prendra des couleurs. Il y a aussi un curieux officier qui s’est constitué prisonnier.

Au même instant, la foule des soldats Français se fendit sur le passage d’une grande blonde vêtue de cuir noir.
« Ecartez-vous, hors de mon chemin ! Vous êtes tous des labradors et des cockers. »
Skarlett Meister, Mad Moselle, venait se constituer prisonnière, ou plutôt esclave dominée, à son nouveau maître.

– Je me plierais à toutes tes exigences, gros voyou mais à condition que tu me donnes la fessée. Dit-elle avec des yeux énamourés au Caporal.

Au même instant, Cornélius von Pataten fut amené au général.

– Ah ! Voici donc le redoutable Schwartz Patate. S’exclama Pétain. Sans votre zeppelin géant, vous n’êtes plus si redoutable.
– Qu’allez-vous faire du Stern des Todes, misérables ?
– C’est une prise de guerre… du Caporal Justice. Il lui revient de droit.
– Merci mon général. Je vais m’empresser de le rebaptiser, il s’appellera dorénavant… Coco l’asticot.
– Was ? Mais c’est complètement con comme nom.

Les prisonniers furent tous emmenés vers l’arrière. L’orchestre en profita pour jouer plusieurs morceaux très joyeux qui enthousiasmèrent les soldats Français… et Allemands. Le cortège des prisonniers de guerre s’éloigna en musique. De temps à autre un « Huiiik ! » de mécontentement perçait parmi les notes aussitôt suivie par l’exclamation : « Hi hi ! Das rikolade ! » Un ou plusieurs petits malins trouvaient amusant d’actionner un siphon en situation délicate… et pour le principal intéressé cela durera jusqu’en 1919, date à laquelle la chirurgie gastro-entérologique fera des avancées majeures et permettra de libérer le siphon sans trop l’endommager.

Verdun et la France furent sauvés. Quelques temps après, le général Pétain fut effectivement remplacé par le général Nivelle mais il n’y eut aucune mutinerie dans les rangs français, cela devait se produire l’année suivante à la bataille du Chemin des Dames.
Mafé se distinguera encore à de nombreuses reprises pendant et après la guerre. Il recevra de nombreuses médailles. Tant et si bien que de retour chez lui, au Sénégal, à chaque pas qu’il faisait, on croyait entendre toute une division d’infanterie marcher… et lorsqu’il courait, on croyait à un régiment de chars. Il écrira trois grands romans sur son expérience de la guerre : « A l’Oued, rien de nouveau », « Les grigris de la gloire » et « Capitaine Connard », ce dernier étant bien évidemment dédié à Emmanuel Val.
Horace Pélardon sera élevé au grade de sergent-cantinier d’élite du 576ème régiment de pinardiers-voltigeurs à cheval. Croix de guerre 1914-1918, il recevra en plus à titre exceptionnel, pour sa blessure au combat, la croix de l’ordre national français du mérite de la valeur militaire des combattants mitrailleurs aéroportés et dont il sera l’unique récipiendaire… parce que le nom était un peu long, alors forcément pour l’administration, ça posait problème… !
Des éclaireurs Allemands retrouveront le capitaine Carl Fouresten dans les latrines de la ferme qui avait servi d’imprimerie. Le malheureux n’avait plus toute sa tête. Le coup qu’il avait reçu, lui avait chamboulé l’esprit et il se mettait à dire des choses qui n’avait de sens que pour lui-même. Il était de plus, devenu sujet à de violentes crises de démence. Subitement il se mettait à insulter et à frapper celles et ceux qui selon ses dires, l’empêchaient de parler et de révéler les vérités mystérieuses qu’il était le seul à comprendre parce que les autres c’est des cons !
On l’enferma donc dans un asile psychiatrique. Ses délires hystériques le rendait dangereux pour autrui mais aussi pour lui-même. Entravé par sa camisole de force et enfermé dans une chambre capitonnée, les médecins étaient obligés de lui administrer trois fois par jour une dose conséquente d’un des plus puissant narcotique.

Le Caporal Justice prit donc possession du Coco l’asticot et s’en alla vers d’autres aventures.
« Mais vers quels horizons mystérieux et aventureux s’en va donc ce fringant Caporal et ses courageux compagnons ? » Vous demandez-vous, chers lecteurs, tout curieux que vous êtes, bandes de petites canailles ! Laissons la réponse à nos aventuriers professionnels :
« Dans ton cul ! Ouahahahaha ! C’est rigolo de dire des gros mots ! »
Je te rassure lecteur, le Caporal Justice est loin d’en avoir fini avec l’aventure. C’est juste que les suivantes seront encore plus dangereuses… car bientôt le Caporal va devoir combattre un ennemi pervers et dégoûtant, avec les mains moites… alors surtout…

 

FIN

Ne manquez pas le prochain épisode des incroyables et inimaginables aventures du Caporal Justice :

La Somme de toutes les peurs

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